Comment enquêter à chaud sur des engagements et des mobilisations imprévus ?

Table-ronde organisée par le groupe Engagements politiques de l’AFSP - Rencontres de la science politique – Edition 2021


Sessions

  • vendredi 2 juillet 9h-11h
  • vendredi 2 juillet 11h15-13h15

Présentation

La table-ronde sera consacrée aux défis matériels, organisationnels, méthodologiques et déontologiques que posent les recherches sur des mobilisations ou des mouvements inopinés. Elle réunira les participants à quatre collectifs de recherche et des chercheurs et chercheuses individuels qui ont improvisé des recherches sur des mobilisations imprévues ou sur des formes d’engagement nouvelles en France et en Espagne, en Afrique subsaharienne et dans les pays arabes, ainsi qu’un binôme de chercheurs qui ont répondu à l’appel d’offre « radicalisation » lancé par le CNRS à la suite des attentats islamistes de 2015. Les uns et les autres ont enquêté « à chaud », les premiers avec les moyens du bord, les autres dans le cadre d’un appel d’offres bénéficiant de moyens conséquents.

Responsables scientifiques

Emmanuelle Bouilly (Sciences Po Bordeaux, Les Afriques dans le Monde / LAM)
Frédéric Sawicki (Paris 1-Panthéon-Sorbonne / CESSP)
Julien Talpin (CERAPS- Université de Lille)


Au cours de la décennie écoulée, les politistes travaillant sur l’action et les mobilisations collectives ont été particulièrement confrontés à des événements imprévus qui ont appelé de leur part la mise en place, de façon urgente et relativement improvisée, de dispositifs d’enquête inédits. Ce fut par exemple le cas à partir de 2011 pour les soulèvements à caractère révolutionnaire dans le monde arabe et en Afrique subsaharienne. L’émergence en Europe de vastes mouvements de contestation des politiques d’austérité budgétaire consécutives à la crise financière de 2008, notamment en Grèce et en Espagne, ont également largement surpris. En France, le mouvement Nuit debout en 2016 et surtout celui des « Gilets jaunes » en 2018-2019 sont apparus suffisamment inédits dans leur répertoire d’action et dans leur mode d’organisation (largement informel et acéphale) pour conduire plusieurs chercheurs et chercheuses à tenter de les observer à chaud de la façon la plus objective possible.

Les chercheurs et chercheuses travaillant sur des organisations plus instituées au premier rang desquels les partis politiques ont eux aussi été confrontés à l’émergence de mouvements politiques ad hoc engrangeant des succès électoraux rapides sans nécessairement s’appuyer sur des réseaux militants pré-constitués de longue date (Cinq Etoiles en Italie, Tea Party aux Etats-Unis, Podemos en Espagne, En Marche et France insoumise en France…).

L’affaiblissement des partis et des syndicats, l’érosion des organisations qui avaient porté le mouvement altermondialiste au début du XXIe siècle, la place croissante prise par les réseaux sociaux comme instruments de popularisation des causes mais aussi comme vecteurs de formation de groupements militants conduisent à faire l’hypothèse d’une labilité croissante des formes d’engagement et de mobilisation collective. L’objectif de cette matinée, organisée autour de deux tables-rondes, n’est pas tant d’interroger cette « grande transformation », que de questionner les défis qu’elle pose aux chercheurs et chercheuses.

Saisir ces différentes formes de mobilisation à leur état naissant et dans leurs formes évanescentes pose quatre grands types de défis.

  • Des défis matériels : à l’heure où le financement de la recherche s’inscrit principalement dans la logique du projet et où les enseignants-chercheurs ont un temps de plus en plus contraint, comment rassembler les moyens financiers et humains pour observer des dynamiques de mobilisation non seulement imprévues mais souvent multi-situées ?
  • Des défis organisationnels : en raison de leur forme fluide, ces mobilisations ne peuvent être saisies que par des collectifs de chercheurs et/ou par le biais de collaborations actives avec des acteurs engagés ou des journalistes. Comment concilier les logiques individualistes qui président à l’évaluation et la sélection des chercheurs (et des laboratoires ou des équipes) avec la nécessaire collaboration (entre chercheurs et chercheuses de statuts différents, avec des journalistes ou des militants) que suppose ces objets politiques singuliers ?
  • Des défis méthodologiques : si l’enquête de terrain s’est imposée dans la science politique française comme une démarche de plein droit, elle a porté largement jusqu’à présent sur des organisations ou des systèmes d’action institués ou stabilisés (administrations, associations, syndicats, partis…). Elle permet généralement d’observer des situations relativement routinières et standardisées (des débats publics, des assemblées générales, des interactions au guichet, des campagnes électorales…). Face à la multiplicité des scènes (lieux physiques et numériques) et à leur labilité, les questions de comment, où et qui observer et auprès de qui enquêter se posent avec une acuité toute particulière.
  • Des défis déontologiques : comment conserver une neutralité axiologique minimale, notamment quand le choix de se lancer dans l’enquête découle souvent d’un élan de sympathie ? Comment se faire accepter des acteurs « en lutte » ? Comment gérer les relations avec les médias très demandeurs de résultats « à chaud », fussent-ils provisoires ? Voire avec les services de renseignements pour lesquels les chercheurs et chercheuses sont des informateurs de premier choix ? Comment gérer les effets de backlash de la médiatisation des résultats ? Autant de questions qui ne sont pas spécifiques aux objets « chauds », mais qui se posent, là aussi, avec une acuité particulière.
    Pour aborder ces questions nous proposons une table-ronde de 4 heures rassemblant quatre collectifs de recherche et des chercheurs et chercheuses individuel×le×s qui ont improvisé des recherches sur des mobilisations imprévues ou sur des formes d’engagement nouvelles en France et en Espagne, en Afrique subsaharienne et dans les pays arabes, ainsi qu’ un binôme de chercheurs qui ont répondu à un marché public autonome du ministère de la Justice à la suite des attentats islamistes de 2015. Les uns et les autres ont enquêté « à chaud », les premier×e×s avec les moyens du bord, les autres dans le cadre d’un appel d’offres bénéficiant de moyens conséquents.

La première session abordera les défis matériels et organisationnels de la recherche mentionnés plus haut.

La seconde session sera quant à elle consacrée aux défis méthodologiques et éthiques. Cette deuxième session s’attachera également aux modalités de publication des résultats une fois les données collectées et à leur réception.

Liste des participant.e.s

Les Gilets Jaunes

Camille Bedock est chercheuse CNRS au Centre Emile Durkheim (CED) de Sciences po Bordeaux. Elle travaille sur les réformes démocratiques dans les démocraties consolidées et sur les aspirations des citoyens et des élus sur leur système politique en Europe. Elle a publié un livre intitulé Reforming Democracy : Institutional Engineering in Western Europe (Oxford University Press, 2017) ici. Sur les Gilets Jaunes, elle a publié (avec Loïs Bonin, Pauline Liochon, Tinette Schnatterer) « Une représentation sous contrôle : visions du système politique et réformes institutionnelles dans le mouvement des Gilets Jaunes », Participations, n°27, 2020 (à paraître) ; et avec le Collectif d’enquête sur les gilets jaunes. « Enquêter in situ par questionnaire sur une mobilisation en cours : une étude sur les gilets jaunes », Revue française de science politique, 2019, 69 (5-6), p. 869-892.

Raphaël Challier est docteur en sociologie et membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris – « Genre, Travail, Mobilités » (CRESPPA-Gtm). Il travaille sur le militantisme et les classes populaires rurales et urbaines. Il vient de publier Simples militants, Comment les partis démobilisent les classes populaires (PUF, 2021). Il a coordonné le numéro « En bas à droite » de la revue Politix . Sur les Gilets jaunes, il a participé à une interview croisée : « Le mouvement des Gilets jaunes : un apprentissage en pratique(s) de la politique ? », Politix, 2019, vol. 4, n° 128, p. 143-177 et publié « Rencontres aux ronds-points. La mobilisation des gilets jaunes dans un bourg rural de Lorraine », dans La vie des idées, 19 février 2019.

Les occupations de places

Héloïse Nez est maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Tours et chercheure à l’UMR CITERES (Cités, Territoires, Environnement et Sociétés). Elle a suivi le mouvement des Indignés en Espagne depuis la fin mai 2011, puis l’émergence de Podemos à partir de 2014. Parmi ses publications, deux ouvrages : Podemos. De l’indignation aux élections (Les Petits matins, 2015) ; et codirigé avec Marcos Ancelovici et Pascale Dufour, Streets Politics in the Age of Austerity. From the Indignados to Occupy (Amsterdam University Press, 2016).

Sélim Smaoui est post-doctorant chargé de recherches au FNRS (Université catholique de Louvain). Il est l’auteur d’une thèse de science politique intitulée La mobilisation comme gouvernement de soi. S’engager pour la mémoire et la cause des victimes du franquisme en Espagne, soutenue le 2 décembre 2016 à Sciences Po Paris. Ses recherches actuelles portent sur les enquêtes militantes contemporaines sur la violence d’État. Il a publié au sujet de Nuit Debout : Faites place. Novices en luttes (Paris, Éditions Textuel, 2017) , et au sujet des Indignés : « Indignados, vers une sortie du néolibéralisme ? », Economia, n°13, 2011-12 ici. Il a par ailleurs travaillé sur le Mouvement du 20 février au Maroc, signant avec Mohamed Wazif un chapitre intitulé « Étendard de lutte ou pavillon de complaisance ? S’engager sous la bannière du "mouvement du 20 février" à Casablanca », dans Amin Allal et Thomas Pierret (dir.), Devenir révolutionnaires. Au cœur des révoltes arabes, Armand Colin/Recherches, 2013 .

Les révolutions arabes

Amin Allal est politiste, spécialiste des rapports ordinaires au politique des classes populaires au Maghreb. Il est chargé de recherche au CNRS au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS) de Lille et chercheur associé au projet ERC DREAM (Drafting and Enacting Revolutions in the Arab Mediterranean). Récemment, il a codirigé (avec Vincent Geisser) l’ouvrage intitulé Tunisie. Une démocratisation au-dessus de tout soupçon ? (Éditions CNRS, 2018) et a coécrit (avec Assia Boutaleb et Marie Vannetzel) un ouvrage de synthèse Introduction aux mondes arabes en (r)évolution (De Boeck, 2018) . Il a enfin participé à l’écriture collective de L’Esprit de la révolte. Archives et actualité des révolutions arabes (Seuil, 2020).

Youssef El Chazli est Junior Research Fellow au Crown Center for Middle East Studies de l’Université Brandeis (Boston, États-Unis). Sociologue et politiste, il est titulaire d’une thèse de doctorat des universités Paris 1 et Lausanne, intitulée Devenir révolutionnaire à Alexandrie, publiée aux Éditions Dalloz en 2020 ici. Il est par ailleurs membre du projet ERC DREAM (Drafting and Enacting Revolutions in the Arab Mediterranean). Ses travaux portent sur les mouvements sociaux et l’engagement militant, et plus récemment, sur les grands projets et les politiques des infrastructures. Il a publié « It Takes Two (or More) to Tango. The Local Coproduction of the Alexandrian Revolutionary Moment », dans Frederic Volpi et James Jasper (eds.), Microfoundations of the Arab Uprisings Mapping Interactions between Regimes and Protesters, Amsterdam University Press, 2018 p. 135-157 ; « Sur les sentiers de la révolution. Comment des Égyptiens « dépolitisés » sont-ils devenus révolutionnaires ? », Revue française de science politique, vol. 62, n°5-6, 2012, p. 843-865.

Les protestations de jeunes en Afrique subsaharienne

Mehdi Labzae est sociologue du politique, docteur associé au CFEE (IFRE23-USR3137) et au CESSP (UMR 8209). Il a consacré sa thèse soutenue en 2019 à Paris 1 à l’autoritarisme au concret en Éthiopie, en menant une ethnographie de l’administration foncière attentive aux formes de la conflictualité politique qui se développe autour de l’accès aux terres. Il a publié certains de ses résultats dans les articles suivants : « Les « travailleurs » du gouvernement. Encadrement partisan et formes du travail administratif dans l’administration éthiopienne », Genèses, n°98, 2015, p.89-109 ici ; « Le fédéralisme ethnique au prisme de la formalisation des droits fonciers : le cas de la zone Majang (Gambella) », Politique africaine, n°142, 2016, p. 101-120) ici ; et « Une politique « pré-conflit » ? Violences et politiques foncières dans les basses terres éthiopiennes », Revue internationale des études du développement, n°243, 2020, p. 151-173. Depuis 2019, il travaille sur des mouvements nationalistes amhara, dans le même pays, qui prennent la forme d’une mobilisation conservatrice et se structurent en parti politique et en milices aujourd’hui actives dans la guerre civile. Il a publié à ce sujet « « Tedjemerwal » : ressorts sociaux, enjeux matériels et significations locales d’une entrée en guerre », blog de la revue Politique africaine, le 16 novembre 2020, ici.

Richard Banégas est professeur de science politique à Sciences Po Paris et membre du Centre de recherches internationales (CERI). Après avoir consacré ses principaux travaux aux processus de démocratisation au Bénin et en Ouganda, il a orienté ses recherches vers les enjeux de citoyenneté, de violence et de mobilisation des jeunes en Afrique de l’Ouest, principalement en Côte d’Ivoire. Il travaille aussi sur les situations de guerre, de sortie de crise et de reconstruction post-conflit. Il a notamment publié : « La politique par le bas-fond. Pouvoir local, violence milicienne et recompositions sociales dans la Côte d’Ivoire « post-conflit » », Afrique contemporaine, vol. 263-264, n°3-4, 2017, p. 103-120 ; « Regains nationalistes en Afrique  : quelques leçons comparatistes des mobilisations patriotiques en Côte d’Ivoire », Questions internationales, n°83, Février 2017 . Il a dirigé avec Florence Brisset-Foucault et Armando Cutolo le numéro « Parlements de la rue. Espaces publics de la parole et citoyenneté en Afrique » dans Politique africaine, paru en 2012 .

Les djihadistes français

Laurent Bonelli est maître de conférences en science politique à l’université de Paris- Nanterre et membre de l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP). Il est également co-rédacteur en chef de la revue Cultures & Conflits. Il a récemment publié, avec Fabien Carrié, La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français (Paris, Seuil 2018) ici, et « Conversion idéologique, resocialisation et actualisation de dispositions scolaires dans le djihadisme français », dans Jean-Philippe Heurtin et Patrick Michel (dir), La conversion et ses convertis. Production et énonciation du changement individuel dans le monde contemporain, (Politika.io et Centre Maurice Halbwachs, 2021) .

Fabien Carrié est maitre de conférences en science politique à l’université de Paris-Est Créteil et membre du Laboratoire interdisciplinaire d’études du politique Hannah Arendt (LIPHA). Il travaille sur la cause animale et le traitement judiciaire des mineurs signalés pour radicalisation et des familles de retour de zones d’opération de groupements terroristes et s’intéresse à la relation entre idéologies et processus d’engagement. Il a publié avec Laurent Bonelli La fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français (Paris, Seuil, 2018).

Les débats seront animés par Emmanuel Bouilly (Maîtresse de conférences à Sciences Po Bordeaux, chercheuse au LAM), Frédéric Sawicki (Professeur de science politique à l’Université Paris 1, chercheur au CESSP) et Julien Talpin (Chargé de recherches au CNRS, directeur-adjoint du CERAPS à l’Université de Lille), responsables du groupe Engagements politiques de l’AFSP.


  • Lien de connexion pour participer via Zoom :

https://zoom.univ-paris1.fr/j/99506405810?pwd=blY5b3QxMmpZdTdlZ3UxS3lqT2R1QT09

ID de réunion : 995 0640 5810
Code secret : 068950