Appel à communications - L’éthique en pratique : la santé, une exception en sociologie ?
Journée d’étude, 25 juin 2024
Campus Condorcet
Modalités de participation
Les communicant.es sont invités à envoyer une proposition de communication de 4000 signes maximum (espaces compris, hors bibliographie), en précisant l’axe dans lequel ils et elles souhaitent s’insérer, avant le 31 janvier 2024 à l’adresse jeethique chez gmail.com. Les propositions seront examinées par le comité scientifique et le comité d’organisation reviendra vers vous avant le 29 février 2024. Les résumés des communications retenues sont attendus pour le 17 mai 2024.
Comité d’organisation
- Shirine Abdoul Carime, doctorante en sociologie, EHESS, laboratoire CESSP Contact : shirine.abdoulcarime chez ehess.fr
- Juliette Bontemps, doctorante en sociologie, EHESS, laboratoire CESSP Contact : juliette.bontemps chez ehess.fr
Argumentaire de la journée
Depuis une vingtaine d’années, on observe une multiplication de productions autour des questions d’éthique en sciences sociales, comme en attestent les différentes publications (articles, dossiers de revues et ouvrages) et journées d’études sur le sujet. Ces questions ont émergé du fait de l’extension progressive des comités d’éthique au domaine académique européen. Installés depuis longtemps aux Etats-Unis (Bonnet et Robert 2009), d’abord en médecine, ces comités se sont étendus aux sciences sociales sous la forme d’IRB (Institutional Review Board). Les projets de recherche sont de plus en plus en soumis à validation éthique de la part d’un IRB et l’Inserm joue donc un rôle central dans le paysage éthique hexagonal. C’est dans ce dernier cadre que nous avons nous-mêmes rencontré les questions d’éthique puisque les recherches menées dans le cadre du projet ERC5 Gendhi (Gender and Health Inequalities), y compris nos recherches doctorales, sont soumises à validation d’un comité d’éthique. La mise en place de comités ou de chartes éthiques a suscité de vifs débats en France, comme en témoignent les débats autour de la charte déontologique de l’Association Française de Sociologie en 2011, cette charte ayant finalement été rejetée. Alors que ce type de charte est en place à l’ASA (American Sociological Association) depuis 1997, pourquoi une telle réticence ?
Le domaine de la santé est particulièrement concerné par les questions éthiques. Les premiers codes dans le domaine des sciences sociales sont établis aux Etats-Unis dans les années 1960 à la suite de scandales et la Déclaration d’Helsinki de 1964 résulte d’une rencontre de l’Association médicale mondiale. Or, cette déclaration concerne toutes les recherches portant sur les humains, incluant donc les sciences sociales. Les chercheurs et chercheuses travaillant sur la santé sont ainsi particulièrement exposé·es aux questions d’éthiques puisqu’ils et elles collaborent avec des professionnel·les familier·es de ces problématiques. De plus, les données définies comme « sensibles » telles que les données de santé sont protégées en France par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et en Europe par le RGPD (règlement général de protection des données).
Le but de cette journée d’étude est d’interroger la situation particulière dans laquelle se trouvent les recherches en santé et de bénéficier des différents retours d’expérience des chercheurs et chercheuses confronté·es à ces problématiques. Nous souhaitons grâce à cette journée contribuer à construire des réponses collectives aux questions que soulèvent les questions éthiques en sociologie de la santé et la collaboration avec les comités d’éthique. Nous invitons des propositions de communications s’inscrivant dans l’un des trois axes suivants.
Axe 1 : Le poids des institutions réglementant l’éthique de la recherche en santé
Un des enjeux éthiques qui se pose dorénavant aux chercheurs et chercheuses en sciences sociales se trouve en amont du terrain, lors de la formulation du projet de recherche. Qu’il s’agisse d’une obligation ou d’une stratégie d’accès au terrain, les sociologues de la santé sont davantage amenés à dialoguer avec des comités d’éthique que leurs collègues travaillant dans d’autres champs de la sociologie. Diverses positions existent face à ces comités, qu’on y soit favorable, réticent ou défavorable (Bonnet and Robert, 2009). D’une part, ces comités s’assurent de la protection des enquêté.es, leur création ayant été motivée par des enquêtes peu soucieuses du consentement des enquêté.es et par des scandales qui ont marqué l’histoire des disciplines (Siméant-Germanos, 2022). Ces comités permettent aussi de protéger l’enquêteur.ice sur son terrain, mais aussi au moment de la publication de ses travaux dans un contexte de judiciarisation de la recherche (Laurens et Neyrat, 2010). La réunion de ces comités invite à une réflexion méthodologique approfondie qui peut être utile pour la recherche, tant que cette dernière ne s’en trouve pas entravée. En effet, de nombreuses publications ont montré les effets parfois néfastes de ces comités sur le travail sociologique, qui peuvent justifier la méfiance suscitée par ces instances. En effet, on s’inquiète notamment de la restriction de « l’autonomie de la recherche quant à ses méthodes » (Siméant- Germanos, 2022). La composition de ces comités, souvent en faveur du pôle biomédical (Derbez, 2023), rend difficile la validation de projets ethnographiques fondés sur une démarche inductive. Dans un objectif de collaboration interdisciplinaire, quel terrain d’entente peut-on trouver lorsque les rapports de force sont en défaveur des sciences sociales ? De plus, les temporalités dissonantes entre ces comités et l’approche ethnographique peuvent fermer la porte à de riches terrains, la fréquence des réunions de ces comités pouvant de pas concorder avec les modifications et microdécisions prises rapidement sur le terrain. Puisque ces instances invitent à définir a priori les difficultés, les méthodes, les données sensibles, aucune place n’est laissée à l’imprévu et à la négociation sur le vif, qui sont pourtant clés en ethnographie.
Ce premier axe invite à se demander comment la mise en place des comités d’éthiques participe à forger les conditions pratiques de l’enquête et les méthodes qu’il est possible d’adopter. En quoi ces comités invitent-ils à renouveler les méthodes d’enquête en sociologie de la santé ?
Axe 2 : Les résolutions concrètes de problèmes éthiques sur le terrain
Les réflexions sur l’éthique en sciences sociales soulignent toutes que l’éthique ne se limite pas à des règles formelles (Bessin, 2023, Fassin, 2008, Roca i Escoda et al., 2020). La « présence » du chercheur ou de la chercheuse sur le terrain soulève ainsi des enjeux éthiques propres à chaque relation d’enquête, qui ne sont pas toujours anticipables avant le début de la recherche (Béliard et Eideliman, 2008, Weber, 2008). Le but de cette journée d’étude est de pallier le manque d’espaces de discussion et de réflexion collective autour des enjeux éthique en sociologie de la santé, et de ne pas cantonner la réflexion éthique à des comités ou des formations, mais bien plutôt d’étudier l’éthique en pratique (Paillet, 2012). Cet intérêt concerne aussi bien les phases de terrain (par exemple la négociation), que des notions, comme celle de « consentement éclairé » des enquêté·es, dont le caractère demeure problématique durant toute la durée de la relation d’enquête. A cet égard, l’observation de consultations médicales pose des problèmes spécifiques intéressants à explorer, tels que l’identification et la présentation des chercheurs et chercheuses, la demande explicite de consentement, le degré de participation des chercheurs et chercheuses (Baszanger, 1995, Faizang, 2007). Mais ces questions éthiques se posent avec tout autant d’acuité après la fin du terrain d’enquête, lors des phases d’écriture, de diffusion ou de restitution de la recherche (Béliard et Eideliman, 2008, Weber, 2008, Bonnard, 2020, Bressan, 2020). Il nous semble donc important de recueillir des récits de résolution concrète de problèmes éthiques à tous les stades de la recherche en sociologie de la santé, pour les faire sortir des parties « méthodologie » des thèses, des articles ou des ouvrages en sciences sociales. Quels problèmes éthiques ont émergé sur le terrain ? Quelles solutions ont été inventées, au vu des injonctions contradictoires qui pèsent sur les chercheurs et les chercheuses en sciences sociales, notamment les plus précaires d’entre elles et eux ? Comment construire une posture éthique pour et par la relation d’enquête ?
Axe 3 : Quel apport des émotions pour le terrain et les méthodes d’enquête ?
Tout travail de terrain implique un travail émotionnel de la part du chercheur ou de la chercheuse, qui est ensuite souvent invisibilisé dans le travail d’écriture. En sociologie de la santé, ce travail peut être particulièrement important. Tout d’abord, dans la mesure où l’enquête peut nous amener à échanger avec des personnes malades, ce qui rejoint les questionnements sur les relations d’enquête avec des personnes dites « vulnérables » (De Gaspari, 2020) et plus largement sur les rapports de domination entre enquêteur/enquêtrice et enquêté·es. Ensuite, dans la mesure où l’observation de relations de soins peut occasionner l’observation de situations de violence ou de maltraitance (Perrin, 2023), qui peuvent constituer des dilemmes éthiques pour l’observateur·trice. Enfin, car la « double empathie » que le chercheur ou la chercheuse peut chercher à créer envers les patient.es et les soignant·es (Faizang, 2007) n’est pas toujours aisée à tenir pendant l’enquête de terrain ou au moment de l’écriture. Dans quelle mesure les émotions que ressent le chercheur ou la chercheuse peuvent être exploitées dans une visée éthique ou scientifique ? Ces émotions peuvent-elles nous aider à percevoir des aspects de notre terrain qui auraient pu nous échapper (Vaucher, 2020) ? Ce travail émotionnel fait-il partie d’une posture éthique, et si oui, de quelle manière ? Étant donné que nos socialisations aux émotions diffèrent selon nos positions de genre, de classe, de race, et nos trajectoires, comment objectiver nos propres émotions et ce qu’elles peuvent nous dire (ou non) de notre terrain et de nos enquêté·es ? Enfin, quels peuvent être les effets de l’enquête en sociologie de la santé sur la propre santé du chercheur ou de la chercheuse ?